Bloc-notes Éco

Crises de 2009 et 2020, des trajectoires divergentes de solde extérieur

Mise en ligne le 2 Juillet 2021
Auteurs : Pierre Sicsic

Billet n°222. En France en 2020, le creusement du déficit public a été plus fort qu’en 2009 et accompagné d’une détérioration du déficit extérieur. Ainsi, le besoin de financement de la Nation (ménages, entreprises et administrations) s’est élargi en 2020, à la différence de 2009, avec un creusement du besoin de financement des sociétés financières et non financières.

Image capacités de financement par secteur (en points de PIB)
Graphique 1 : capacités de financement par secteur (en points de PIB) Note : Sociétés pour sociétés financières et sociétés non financières. Source : Insee comptabilité nationale annuelle https://www.insee.fr/fr/statistiques/5354786

Evolution des revenus en 2009 et en 2020 : une image contrastée

Dans un billet récent de l’Insee, Carnot montre que le revenu national a diminué en 2020 de plus de 150 Mds € en 2020, tandis que la consommation et l’investissement (tous secteurs institutionnels confondus) ont respectivement baissé d’environ 70 et 45 Mds € ; quant au déficit extérieur, il a progressé d’environ 40 Mds €. Comme les dépenses en 2020 ont moins diminué que les revenus, il y a eu endettement extérieur. 

Les variations des revenus observées en 2009 et 2020 ont été assez différentes. Dans les deux cas, c’est le revenu des administrations publiques qui a le plus nettement reculé (respectivement de 53 et 111 Mds €). Le revenu des sociétés avait peu diminué en 2009 (7 Mds €) mais il a baissé de manière plus conséquente (59 Mds €) en 2020. Enfin, le revenu des ménages, qui avait presque stagné en 2009, a légèrement progressé en 2020 (variations respectivement de 2 et 15 Mds €).

Il est intéressant de noter qu’il y a eu des divergences dans l’évolution du revenu agrégé des ménages en 2020 au sein des principaux pays de la zone euro (Tableau 1). En effet, le revenu nominal des ménages a légèrement augmenté en France et en Allemagne, alors qu’il a reculé en Italie et en Espagne dans un contexte où la contraction du revenu national a été plus importante.

Tableau 1 : Évolution des revenus disponibles bruts nominaux en 2020 (%). Source : Ameco
  Allemagne France Italie Espagne
Revenu national -3,4 -6,0 -7,8 -9,8
Ménages 0,9 1,1 -2,8 -3,3
Hors ménages -10,4 -18,1 -17,7 -20,5

 

Cette préservation du revenu des ménages en France a pour contrepartie une dégradation non seulement du déficit public (comme dans les autres économies européennes) mais aussi du revenu des sociétés. S’accompagnant d’un investissement assez fort compte tenu des déterminants habituels (voir les récentes projections de la Banque de France), le creusement du besoin de financement des sociétés, qui s’ajoute à celui des administrations publiques, aboutit à une dégradation du solde extérieur, la hausse de l’épargne des ménages ne les compensant pas.

Ce billet compare l’épisode 2020 aux périodes dans lesquelles le déficit public et le déficit extérieur se sont ouverts, pour en décrire l’origine du côté de l’épargne des ménages ou / et des sociétés.

Dégradations conjointes des déficits public et extérieur en 2020 contrairement à 2009

La forte hausse du déficit public en France en 2020 a permis le maintien du revenu des ménages, alors que la somme des revenus se contractait. L’écart entre la somme des revenus et celle des dépenses (consommation et investissement) est la capacité de financement de la Nation, qui atteint -2,5% du PIB en 2020 (déficit extérieur). Aux flux de revenus extérieurs près, la somme des revenus est égale à la valeur ajoutée produite sur le territoire.

La capacité de financement de la Nation, qui correspond au solde vis-à-vis du reste du monde, est aussi la somme de celle du secteur privé (ménages et sociétés) et des administrations (qui est négative dans le cas d’un déficit public). Lorsque le déficit public s’accroit, le solde extérieur se dégrade, sauf si la capacité de financement du secteur privé s’améliore et vient compenser.

Le cumul des flux d’endettement net est la "position extérieure nette" qui correspond au patrimoine financier net de la nation. À la fin 2019, elle était débitrice d’un peu plus de 550 Mds € (23 % du PIB). Elle se situait nettement en deçà du seuil d’alerte retenu dans le cadre de la procédure européenne de déséquilibre macroéconomique (35 % du PIB).

La crise de 2009 avait entraîné une progression de la capacité de financement privée identique à celle de 2020, mais avec une répartition très différente entre ménages et entreprises (voir graphique 2 pour la capacité de financement privée). Comme le creusement du déficit public avait été moindre qu’en 2020, il ne s’était pas accompagné de déficit extérieur. L’épargne financière des ménages, à près de 8 points de PIB, est exceptionnellement forte en 2020 (Graphique 1). En 2009, c’est la hausse de l’épargne des sociétés, suivant la diminution de l’investissement (voir plus haut pour l’évolution des revenus), qui expliquait la hausse de la capacité de financement privée. Ceci avait permis de compenser la désépargne publique.

Les déficits extérieurs antérieurs provenaient moins ou pas du déficit public.

Image capacités de financement par secteur sur longue période (en points de PIB)
Graphique 2 : capacités de financement par secteur sur longue période (en points de PIB) Note : Sociétés pour sociétés financières et sociétés non financières. Source : Insee comptabilité nationale annuelle https://www.insee.fr/fr/statistiques/5354786

Le déficit extérieur, mesuré par le besoin de financement de la Nation, a dépassé 2 % du PIB de 1980 à 1983 (Graphique 2, creux à -3.5 % en 1982). L’augmentation du déficit public et la diminution de la capacité de financement privée (sensible lors du second choc pétrolier) expliquaient à part égale cette évolution du déficit extérieur. Si l’on remonte encore plus loin, les crises de balance des paiements des années 1956-1957 (graphique 2 chute de la ligne noire « Nation » de 1,5 à -1,5, et légère détérioration en 1969 à -1 %) n’étaient pas du tout liées au déficit public.