Bloc-notes Éco

Assouplissement quantitatif et baisse durable des spreads de crédit

Mise en ligne le 11 Octobre 2017
Auteurs : Sanvi Avouyi-Dovi, Françoise Drumetz, Guillaume Horny

Billet n°33. En France, début 2015, les taux d’intérêt des nouveaux crédits bancaires aux entreprises ont fortement baissé ; cette baisse durable, plus forte pour les crédits aux taux élevés, faisait suite à l’annonce de l’assouplissement quantitatif de la BCE. Sans changement significatif des caractéristiques des entreprises emprunteuses, elle atteste de l’amélioration des conditions de financement.

Image Forte baisse du spread pour les crédits à taux élevé en France
Graphique 1 : Forte baisse du spread pour les crédits à taux élevé en France

Les entreprises ayant obtenu des crédits aux taux d’intérêt les plus élevés ont le plus bénéficié de l’annonce du programme d’achat d’actifs financiers (aussi appelé assouplissement quantitatif ou APP). Nous calculons pour chaque nouveau crédit la différence (ou spread de crédit) entre le taux d’intérêt associé à ce prêt et le taux d’intérêt appliqué à un contrat sans risque de défaut et de même maturité. Les 10 % des nouveaux prêts aux taux les plus élevés avaient un spread de crédit de l’ordre de 270 points de base au premier trimestre 2015 (T1) contre 450 points de base au dernier trimestre 2014 (cf. graphique 1 et tableau 1). En revanche, les 10 % des nouveaux crédits ayant les taux les plus faibles ont baissé à peine plus que le taux sans risque, leur spread s’étant réduit de moins de 10 points de base.

Certains agents ont peut-être anticipé au cours de 2014 l’annonce d’un assouplissement quantitatif. Les taux négociés ont donc déjà pu commencer à baisser face à l’imminence de l’APP. Ces anticipations ne sont pas prises en compte dans les simples comparaisons ci-dessus. Nos évaluations sous-estiment donc l’effet de l’assouplissement quantitatif.

Image Forte baisse des taux pour les crédits les plus coûteux
Tableau 1 : Forte baisse des taux pour les crédits les plus coûteux

Pas de changement significatif des caractéristiques des emprunteurs

La baisse des taux des crédits nouveaux observée au T1 2015 s’expliquerait-elle par une diminution du risque présenté par les nouveaux emprunteurs comparativement à ceux qui avaient obtenu un prêt avant le T4 2014 ? Grâce une méthode de décomposition ayant fait ses preuves, notamment dans l’analyse des distributions de quantiles (Firpo, Fortin et Lemieux, 2009), nous évaluons les changements dus à plusieurs facteurs : variations de montants empruntés, type de crédits (trésorerie ou investissement), cotations Banque de France des entreprises emprunteuses.

En comparant l’année 2014 à l’année 2015, on note que, en moyenne, la baisse des risques explique moins de 20 % de celle des spreads (cf. tableau 2). La réduction du risque de défaut n’expliquerait donc que marginalement la baisse des spreads de crédit.

Tableau 2. Faible influence de la baisse des risques sur celle des spreads
  1er décile 3e décile Médiane 7e décile 9e décile
Baisse du spread de crédit -0,1 -0,1 -0,6 -1,6 -2,0
Partie expliquée par les caractéristiques du crédit et des emprunteurs 0,0 -0,0 -0,1 -0,2 -0,1
Partie inexpliquée -0,1 -0,1 -0,5 -1,4 1,9

Les variations des spreads de crédits sont la différence entre les spreads de l'année 2014 et ceux de l'année 2015.

Net assouplissement des conditions d’octroi du crédit

L’enquête Bank Lending Survey est menée tous les trimestres par la BCE auprès des banques de la zone euro sur les conditions de financement bancaires. Celle publiée en octobre 2015 comprenait exceptionnellement des questions visant à apprécier l’effet de l’APP. Les résultats tirés de celle-ci confirment que l’assouplissement quantitatif a eu une influence sur l’offre de crédit bancaire. Les banques ont déclaré avoir obtenu des liquidités fournies par l’APP afin d’accroître leur offre de crédit, notamment aux entreprises. La même source indiquait que les ménages en ont également bénéficié. Au total, l’APP a permis un net assouplissement des conditions d’octroi des crédits au secteur privé non financier (cf. graphique 2).

Image Des conditions de crédits largement assouplies en zone euro
Graphique 2 : Des conditions de crédits largement assouplies en zone euro

Quels canaux de transmission de l’APP aux spreads de crédit ?

Les variations des spreads de crédit sont imputables à des facteurs à la fois de demande et d’offre de crédit. Par exemple, une amélioration de la qualité des emprunteurs (un facteur de demande) peut venir d’une baisse du risque de défaut pendant la durée du prêt, conduisant à une contraction des spreads. De même, du côté de l’offre, une amélioration des caractéristiques des prêteurs, comme une meilleure capitalisation, des banques a une influence sur les montants prêtés (Klein, Peek et Rosengren, 2002) ou sur les taux d’intérêt bancaires (Santos, 2012).

Les taux des crédits réagissent à la politique monétaire, quelle que soit leur maturité. En effet, les taux d’intérêt de long terme traduisent les anticipations des agents sur les taux futurs. En phase d’assouplissement monétaire, plus les agents sont convaincus que cette orientation est durable et s’inscrit dans une stratégie à moyen terme, plus cet assouplissement aura un effet à la baisse sur les taux d’intérêt de long terme (cf. billet du Bloc note Eco pour les effets des APP sur les taux d’intérêt et les rendements obligataires).

Par ailleurs, des travaux récents ont montré que la politique monétaire agit sur les spreads de crédit. En effet, une politique expansionniste peut à la fois stimuler le goût du risque des prêteurs (se traduisant par une diminution de la compensation demandée pour faire face à des pertes en cas de défaut d’un emprunteur) et diminuer leurs risques de défaut. En outre, les évolutions des spreads de crédit peuvent amplifier les baisses des taux monétaires, conduisant à des fortes variations du coût du crédit des entreprises (Gertler et Karadi, 2014).

Enfin, aux États-Unis, les annonces d’assouplissement quantitatif ont fait significativement baisser les taux des Credit Default Swap, en particulier pour les entreprises présentant les risques de défaut les plus élevés (Krishnamurty et Vissing-Jorgensen, 2011). Nos résultats relatifs aux effets de l’APP annoncé en janvier 2015 dans la zone euro sont donc cohérents par rapport à ceux concernant les états-Unis.